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Structurer ses actions à l’aide d’un label de certification durable

Avec Philippe Richard, co-fondateur et directeur des ventes du groupe EASIA Travel, agences réceptives basées au Vietnam, Cambodge, Laos, Birmanie et Thaïlande. 

Propos recueillis et rédigés par Emma Dominguez pour TogeZer le 22/10/2019 


L’origine d’Easia Travel  

De formation d’une grande école commerce, Philippe enchaîne les refus successifs d’embauche professionnelle, aucune grande entreprise du CAC40 n’a voulu de son profil, il n’arrivait pas à passer les tests psychologiques des recrutements. Philippe les remercie vivement aujourd’hui car cela lui a permis de trouver vraiment sa voie. En effet, à cette époque, son envie de vivre à l’étranger le pousse à aller rendre visite à un copain d’enfance vivant au Vietnam, il tombe amoureux du pays et trouve un boulot chez un réceptif local. Sans possibilité d’évolution dans cette entreprise, il côtoie Hoa sa collègue vietnamienne de l’époque, ils s’entendent bien et décident de créer leur propre structure. C’est la naissance d’Easia Travel en 2000, une agence réceptive d’abord présente au Vietnam, puis ils seront rejoints par Huy, l’autre associé vietnamien. Philippe définit Easia Travel comme une société multiculturelle travaillant exclusivement en BtoB.

« Le premier slogan d’Easia Travel, c’était rencontre au bout de l’horizon. Le voyage pour nous, c’est avant tout des rencontres. L’aspect sociétal du voyage avec la découverte d’autres cultures, c’est ce qui nous a motivé dès le départ. On a toujours travaillé sur des circuits proches de la nature et de l’habitant. A l’époque, il fallait d’ailleurs convaincre les agents de voyage que dormir en jonque avec les locaux sur la baie d’Halong était tout à fait sécurisant et combattre l’idée qui circulait qu’il y avait des pirates dans la baie. Côté nature, Huy nous a aidé à développer cette dimension, il a été le premier à faire des voyages en kayak de mer avec National Geographic notamment »

Puis, d’autres ouvertures se font au Laos, Cambodge, Birmanie et Thaïlande, Easia Travel se retrouve alors en plein essor. L’entreprise compte aujourd’hui 400 salariés répartis entre ces 5 pays asiatiques.

La prise de conscience vient de plein fouet, les actions s’ensuivent.

Depuis le début, Easia Travel a toujours travaillé sur l’aspect sociétal du voyage et notamment la rencontre avec les habitants, l’aide en local : « Par exemple, on aide les familles en investissant dans l’amélioration et la restauration de leur habitat pour accueillir les voyageurs, ce qui fait vivre localement beaucoup de monde. Cet aspect sociétal a toujours été naturel et fondamental pour nous. »

Mais le travail sur la dimension environnementale est venu d’une prise de conscience de l’urgence climatique il y a environ cinq ans : « Les vietnamiens n’ont pas conscience du niveau de pollution qui a été atteint. En dehors de la Thaïlande (ndlr pays déjà bien développé), les autres pays n’ont découvert la consommation et le mode de vie occidental que très récemment, et ils mordent dedans à pleine dent – comme nous le faisons, nous occidentaux. »

Voyant que les petites actions ne suffisaient plus, les fondateurs d’Easia Travel décident alors de structurer leur démarche et de l’intégrer dans toutes les actions inhérentes à l’entreprise. C’est pour cela, qu’ils ont souhaité passer au stade de la certification avec le label Travel Life. A l’époque, Philippe fait un comparatif de tous les modèles de certification de la place : Travel Life, ATR, Green Globe, Global Sustainable Tourism Council, Earth Check, United Nations Global Impact, etc.

« Nous avions écarté ATR – le label français – car il ne certifie que la distribution, à la différence de Travel Life qui certifie toute la filière : la distribution, les réceptifs et les hôteliers. En effet, si la boutique est certifiée durable mais que ce n’est pas le cas de tes fournisseurs, la démarche ne va pas jusqu’au bout, pour moi c’est du greenwashing. Ce qui a nous a fait choisir Travel Life, c’est le côté organisationnel, des formations ont lieu régulièrement, il y a un support techno-éducatif qui te permet au fur et à mesure d’avancer dans ton processus de certification. C’est un peu l’équivalent de B CORP, le label américain, même si grosso modo, n’importe quelle société française qui respecte la législation rentre dans les critères B CORP. Il faut savoir que quand tu rentres dans la certification du tourisme durable, ce n’est jamais fini car tu es toujours en évolution, c’est ce qui est le plus intéressant, c’est de se remettre en cause constamment. »

Il y a 5 ans, les fondateurs d’Easia Travel annoncent en interne le processus pour obtenir la certification Travel Life : « ce qui a été génial, c’est de voir à quel point les équipes se sont appropriées ces problématiques, nous n’avons jamais eu à dire, il faut être durable. Nous avons demandé à nos 400 salariés si tout le monde était d’accord et c’était le cas. ». Philippe pense que le succès vient du fait qu’il n’y avait que des initiatives isolées (liées à une demande d’un voyageur plus sensible, liées à un employé qui menait une action par-ci, par-là), ce qui ne faisait pas avancer la problématique au global, il fallait faire un vrai travail de fond.

Pour obtenir leur certification, toute l’entreprise y a travaillé pendant 3 années, une équipe dédiée spéciale durabilité a été constituée pour mettre en place les actions concrètes et les procédures, il a fallu faire un gros de travail pour former les employés. Cela a été contraignant mais très structurant. L’équipe « durabilité » compte aujourd’hui 8 personnes à temps plein sur les 5 pays (Vietnam, Laos, Cambodge, Birmanie et Thaïlande).

Voici quelques exemples d’actions concrètes sur lesquels Travel Life les a aidé à réfléchir et à mettre en place :

–        Le bien-être animal : prenons le cas des éléphants, l’équipe d’Easia Travel s’est rapprochée de spécialistes pour comprendre les problématiques qui sont en réalité assez complexes : « Lors du dernier meeting au Global Sustainable Tourism Council (GSTC) à Chiang Mai, il y a des interrogations qui restent encore en suspens, les spécialistes ne sont pas encore complètement sûrs des impacts du tourisme sur les éléphants. Des TO ont pris des positions extrêmes en bannissant les camps d’éléphants de leurs circuits, mais en réalité ce n’est pas si tranché que cela. On a donc fait un audit de chaque camp et on a arrêté une liste des camps qui nous semble répondre aux derniers critères élaborés par le GSTC mais il n’existe pas de grille de certification, cela fait encore partie des choses mouvantes. »

–        Bannir les bouteilles en plastique : A partir de janvier, il n’y aura plus aucune bouteille en plastique, ni lingette (à utilisation unique) dans les voyages proposés par Easia Travel. Au Cambodge, Easia Travel a rejoint le mouvement Refill Not Landfill. Puis les autres destinations ont suivi. Ces actions impliquent de mettre en place des fontaines à eau sur tous les lieux où les voyageurs passent. Deux années de travail ont été nécessaires avec les prestataires (guides, hôtels, restaurants). « Le plastique est une vraie problématique, chaque jour sur les temples d’Angkor, c’est l’équivalent de 4 piscines olympiques remplies de plastiques consommés (150 000 bouteilles par jour). Le paradoxe, c’est qu’on n’est pas aidé par les autorités locales, ni par les grandes entreprises telles que Coca Cola, le plus grand distributeur de bouteille au monde, qui gagne plus d’argent en vendant des bouteilles en plastique que la boisson elle-même. Et de l’autre côté, des entreprises comme nous, dépensent une énergie folle pour empêcher d’acheter ces produits occidentaux. L’utopie serait que ces grandes entreprises distribuent elles-mêmes ces fontaines pour vendre leurs boissons. Le système est aberrant, et revient au débat sur l’économie circulaire. »

–        La protection des enfants : Easia Travel a rejoint l’organisation Child Safe qui les a aidé à définir des lignes directrices pour s’assurer que leur société prévienne et réponde aux problématiques d’abus des enfants, que les produits ou services de l’entreprise aient le meilleur impact sur les enfants (voyageurs et locaux) dans les écoles, villages, etc.

Le coût des certifications revient souvent dans le débat. Pour Travel Life, il faut compter entre 400 et 2000 euros par an suivant la taille de la société et le pays concerné. Philippe nous précise qu’en réalité : « Le vrai coût, c’est celui l’équipe et des moyens qui sont mises en place. Le fait que tout le monde l’ait accepté aussi chez Easia Travel permet aussi une mise en place plus rapide, et d’un autre côté, l’impact auprès des salariés est important, je pense que les salariés sont plus heureux et plus fiers de travailler chez nous, leur métier prend du sens. »

Chaque année, Easia Travel est soumis à un audit pour renouveler la certification, et l’entreprise doit également auditer ses prestataires. Évidemment, ce processus crée également un impact sur comment construire les programmes : limiter l’avion, proposer des modes de transport plus alternatifs, privilégier les restaurants ayant une approche bio et durable, éviter le gaspillage des repas. Philippe conclut par : « Le stade de la certification, c’est sans fin, ce n’est en fait que le début du travail, il faut toujours s’adapter aux conditions qui changent, s’améliorer, trouver de nouvelles idées, c’est un réel engagement. »

La (R)évolution est en marche…

Philippe observe que le mouvement est général même si cela dépend de la sensibilité des agences de voyage, TO et des voyageurs : « Quand Easia Travel lance le mouvement pour remplacer les bouteilles en plastique par des gourdes, l’entreprise constate que les voyageurs sont fiers de revenir ensuite dans leur pays avec ce produit. Le plus dur finalement, c’est de changer les habitudes dans la vie quotidienne, Alors que quand tu es vacances, tu es déconnecté, si on t’apporte la solution, tu vas te l’approprier le temps de tes vacances car tu auras le temps d’en prendre conscience. Même si c’est une goutte d’eau. »

Le tourisme durable lui fait beaucoup penser à la filière d’agriculture biologique il y a 15 ans. De par son environnement familial, Philippe a baigné dans ce milieu : « Quand on parlait de l’agriculture biologique, les gens étaient réticents comme si l’on parlait d’une secte car cela remettait en cause 50 ans d’habitude alimentaire, de mode de vie. Le bio, c’est revenir à des techniques plus anciennes, moins productives et surtout moins rentables pour des grosses entreprises qui structurent la filière avec une agriculture très intensive. Mais aujourd’hui, l’agriculture bio n’est plus remise en question, la vraie question qui se pose : c’est comment faire en sorte de la rendre accessible à tout le monde ? La problématique a donc complètement changé. Pour le tourisme durable, c’est la même chose, j’espère juste que la transition sera plus rapide. »

Concernant l’avenir du voyage, Philippe distingue deux types de voyage. D’un côté, il différencie le voyage d’affaire : « il faut repenser ce type de voyage, ce sont beaucoup de trajets courts en avion souvent pour des réunions clients très courtes alors que l’impact sur l’environnement est énorme. Envisager une autre façon de rencontrer ces clients, changer notre mode de fonctionnement pour limiter les déplacements professionnels tout en gardant une certaine efficacité et proximité avec les clients, c’est le défi de demain de ce type de tourisme. ». Et de l’autre côté, Philippe précise que pour le voyage loisir : « il faudra sans doute changer nos habitudes de prendre un vol long courrier une fois par an pour aller en vacances, il y aura un certain niveau de décroissance, c’est sûr. En accumulant les voyages en permanence, on rentre dans la consommation, cela n’a plus de sens, il n’y a plus ce côté découverte, ce qui va changer la manière de travailler des réceptifs, il faudra s’y adapter. ».

Ce qui lui parait positif, c’est que toute l’industrie commence à s’émouvoir de la problématique du tourisme durable, c’est en effet un bon moyen d’avancer vite si toute la chaîne du voyage s’empare du sujet : agences de voyage, tours opérateurs, réceptifs, hôteliers, guides, restaurateurs et voyageurs.