Associativité – Voyage & Cinéma ☂
Par Guillaume Imbert – Temps de lecture : 8 min
QUI EST GUILLAUME ?
► Diplômé de l’école de cinéma ESEC, ancien régisseur de plateau de cinéma et manager de cinéma pendant 10 ans, avant de s’installer au Costa Rica pour devenir le gérant de Terra Caribea, agence réceptive basée au Costa Rica – guillaume(at)terra-caribea.com
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Je me diversifie donc je suis ! (Inspiration Diderot)
Je devrais probablement commencer cet article par un constat sur le voyage, sur son évolution versus l’état de la Terre, par des opinions sur le futur si l’on ne fait rien. Le problème étant que je ne viens pas du « monde du tourisme », que je me forme sur l’avenir de la planète bleue depuis quelques mois seulement donc question légitimité, je doute.
Par contre, j’ai voyagé ! J’ai aimé partir rencontrer d’autres cultures, être émerveillé par des paysages grandioses, dépasser certaines de mes limites et en apprendre de nouvelles. Disons-le tout haut : je suis un touriste ! Mais pas uniquement…
Connais-toi toi-même (Socrate)
Je suis un passionné de cinéma. Un cinéphile. Un cinéphage avant tout. C’est important d’expliquer le cheminement qui me conduit à cet article. J’ai « mangé » des films depuis l’âge de huit ans, ce qui signifie que j’ai fantasmé ma vie pendant 28 ans. Patrice Chéreau a dit : « le cinéma, c’est le lieu du réel et de la vie ». C’est un lieu unique où vous allez partager pendant 2 heures, des émotions et un morceau de vie avec des inconnus sans sortir de votre fauteuil, sans vous juger sur votre physique ou sur vos opinions. Avant même de savoir ce qu’était l’amour, j’avais aimé. Avant même d’avoir perdu un ami, j’avais ressenti le deuil. Avant même d’avoir voyagé, j’avais découvert New York.
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Tout est plus simple quand on se croit le personnage d’un film, tout est plus fluide. En citant Truffaut : « Les films sont plus harmonieux que la vie. Il n’y a pas d’embouteillage dans les films, pas de temps mort ».
Mais la réalité est là et comme, de plus en plus souvent, elle dépasse la fiction, quand elle frappe, aucune image ne peut vous en extraire.
Tout le monde se souvient où il était le 11/09/2001, moi je me souviens avoir cru que ma mère regardait un film catastrophe. Alors quand la réalité était trop forte et que le cinéma ne suffisait plus, je suis parti voyager : vivre le cinéma en réalité !
David Lynch définit le cinéma ainsi : « C’est un désir très fort de marier l’image et le son ». Qu’est-ce que le voyage sinon cette volonté ? La musique dans les rues de Glasgow alliée à la grandeur de son université. L’écho des sabots d’un cheval au cœur du parc de Yosemite offrant un décor de western. Parler avec des gens ayant une culture différente tout en observant les étoiles qui éclairent le désert du Wadi Rum en Jordanie.
Le cinéma et le voyage sont fortement liés. En dehors des sens, ils nous apprennent aussi sur nous. Et j’ai délaissé la salle de cinéma pour les paysages réels jusqu’à ne plus travailler dans un complexe cinématographique, mais dans une agence réceptive.
Leurs futurs aussi sont étonnamment proches : le cinéma bascule progressivement vers une industrialisation cadrée par les deux oreilles d’une célèbre souris et le tourisme a basculé dans la masse et la consommation. À quoi cela nous sert encore de voyager ou d’aller au cinéma si tout ce qui est offert se ressemble ? Et surtout, à l’heure d’une réelle et lente prise de conscience de notre influence sur la planète, le cinéma est-il plus écologique que le voyage ?
Cinéma « écoresponsable »
À l’aune de la Cop 21, qui a vu la signature des oubliés accords de Paris, une enquête avait été réalisée dans le monde audiovisuel pour observer l’impact écologique.
Un James Bond comme « Spectre » envoie à la casse pour 30 millions d’euros de voiture, dont sept Aston Martin spécialement construites pour le film. Pour les besoins du film « Expendables 2 », une scène a été tournée dans une grotte en Bulgarie où résidaient 22 000 chauves-souris. La moitié d’entre elles n’ont pas survécu au passage de Stallone et de sa bande. Le cinéma français n’est pas au mieux. En 2010, une étude réalisée par Ecoprod montrait que le bilan carbone du secteur était de 1,1 million de tonnes de CO2 soit 410 000 allers-retours Paris-New-York en une année.
Bien entendu, de nombreuses mesures ont été prises et permettent aujourd’hui des blockbusters dits « verts ». Une unité de mesure, le Carbone Clap, a même été créée pour évaluer l’empreinte carbone d’un tournage. Matériaux recyclés, moins de gaspillage sur les tables régies, camions hybrides, LED pour les éclairages, etc.
Le fond vert apparaît alors comme une bonne alternative si l’on omet la consommation électrique sur le plateau et des serveurs pour travailler les images virtuelles. Un couple qui s’embrasse devant une cascade en pleine Amazonie sans y mettre les pieds. Une bataille en plein désert sans déplacer un grain de sable. Le tourisme pourrait alors aussi devenir virtuel. Derrière un casque, nous pourrions nous déplacer vers n’importe quel point de la planète. Nous pourrions parler avec des habitants d’autres pays, passer une soirée avec eux tout en étant assis dans notre salon.
En voilà une solution écologique ! Mais des serveurs pour conserver les données sont nécessaires et ils chauffent donc réchauffent. Aujourd’hui, le tourisme pollue. Le cinéma pollue. Et je suis certain que si nous regardons toutes les industries ou secteurs, à leur niveau, ils polluent.
Aucune réelle ou fictive solution.
L’important ce n’est pas la destination, c’est le voyage. (Robert Louis Stevenson)
Cette phrase nous la connaissons tous par cœur, mais elle revêt aujourd’hui encore plus de signification à l’heure où justement, nous devons redonner du sens. Et cela peut se faire par le biais du cinéma et de la diversité des missions qu’un réceptif peut avoir.
Lorsque je me suis lancé dans cette réflexion, je suis parti sur les mêmes bases qu’aujourd’hui dans le tourisme : créer des productions qui permettent de revivre un film ou accompagner le voyage par un film. Imaginez que vous partiez sur les traces d’Indiana Jones pendant une étape de votre voyage. Ou jouiez à James Bond le temps d’une soirée dans un casino du Monténégro comme dans Casino Royal.
Dernièrement, un article d’Allociné parlait des marches empruntées par le Joker dans le film du même nom qui cartonne actuellement au Box-Office. Elles se trouvent dans le Bronx et sont aujourd’hui assaillies par les touristes et les instagrameurs qui veulent reproduire la position du personnage pour leur communauté. Donc ce quartier tranquille du Bronx est perturbé par un afflux de personnes tous les jours depuis 1 mois et cela ne va pas s’arrêter. La maison de Breaking Bad, les ruines de Dubrovnik sont encore des exemples de ce tourisme de masse issu du cinéma. Et en attendant, avec le recul du désert dû au changement climatique, Tatooine, planète de Star Wars dont le décor se trouve en Tunisie, est en train de disparaître.
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Partir sur ce projet ne revêt plus de légitimité quand on en connaît les conséquences : ajouter son empreinte carbone à un tournage présentant déjà un impact écologique fort est irresponsable. Alors je l’ai pensé différemment.
Nous pourrions partir sur une production, non pas animée par un film, mais par une thématique qui regrouperait plusieurs films, mais aussi des livres, des documentaires télévisuels, des articles ayant pour point commun la destination.
Le voyage commencerait alors avant le voyage et se poursuivrait au-delà, rendant ce dernier signifiant, car il serait plus important que la destination et surtout il pourrait être transformationnel ou, au minimum, reconnectant entre les personnes qui le vivent.
De nombreuses thématiques seraient proposées comme l’amitié, l’amour, mais aussi la confiance, la peur, le deuil, le pouvoir, l’autorité.
Le séjour serait alors scénarisé. Les réceptifs racontent une histoire. Le voyageur vit cette histoire, mais raconte aussi son histoire dans l’histoire, car rien n’est complètement prévisible et c’est le charme aussi de l’aventure : « événement fortuit, de caractère singulier ou surprenant, qui concerne une ou plusieurs personnes » (définition Larousse). Rien ne sert de la vendre ou de la programmer, elle perd son sens. Créons juste l’espace pour qu’elle se faufile.
Aujourd’hui, où le tourisme apparaît de plus en plus écologiquement non responsable, où le cinéma n’apparaît plus comme une sortie, car depuis notre salon nous voyons les films, où les écrans ont remplacé les livres, où les applications dominent nos esprits, transporter, ne serait-ce qu’un temps, une famille, un couple ou des amis vers une destination thématique est un besoin, une nécessité. Considérer que le voyage a un avant et un après.
Plutôt que d’en faire plusieurs, faisons au moins un voyage qui soit marquant et qui dure. Nous ne devons pas nous contenter de redéfinir le voyage par des « trucs et astuces » qui le simplifie et le rende écologique. Allons encore plus loin ! Et si le cinéma peut aider les réceptifs dans la production, rendre le voyage plus éthique écologiquement, pourquoi l’inverse ne serait-il pas vrai ?
Échanges de bons procédés
Au sein de nos réceptifs, nous essayons de faire de la production. Parfois, on monte même un département production ou un pôle. Faire un film, c’est une production.
L’expertise terrain et, avant toute chose, la présence des réceptifs dans tous les pays du monde offrent au cinéma un champ extrêmement large de possibilités.
Que ce soit en voyage de reconnaissance ou en week-end, nous prenons des photos et des vidéos. C’est tellement facile de filmer aujourd’hui avec n’importe quel appareil. Un scénariste n’a pour limite que son imagination ; il peut faire vivre ses personnages aux quatre coins du monde. Mais quand vient le temps de tourner les scènes, la production limite souvent en matière de coût, la possibilité de se rendre dans ces coins. Alors elle utilise des « stock shots » à savoir une base de données d’images tournées partout dans le monde. Les réceptifs peuvent devenir fournisseurs de ces images. Vous pouvez tourner des scènes dans un hôtel parisien en faisant croire que cet hôtel est à Bangkok si dans l’image d’avant, le spectateur a vu un avion atterrir à l’aéroport de Bangkok. Vous pouvez tourner une scène d’action dans les rues de Carcassonne en faisant croire que cela se passe dans une forteresse arabe si entre chaque plan de la course poursuite, vous montrez un plan du désert qui entoure les remparts ou un survol d’un palais jordanien. Le film « Mais qui a tué Pamela Rose » a été tourné dans une université du sud de Paris qui ressemble à une université américaine et en alternant avec des plans identifiants les États-Unis, achetés dans une base de données, l’illusion est parfaite.
Pour revenir sur l’expertise terrain, les équipes de tournage ont besoin de personnes maîtrisant les pays pour trouver les bons interlocuteurs, les bons lieux, voire du matériel audiovisuel ou des accessoires. C’est le travail des « fixeurs ». Les réceptifs sont des « fixeurs ».
Les équipes de tournage venant pour un film peuvent rester pour découvrir le pays par la suite. Le travail du réceptif est de leur proposer cela pour éviter qu’ils ne restent que le temps de tourner quelques scènes.
Les bonnes pratiques écologiques des pays peuvent être transmises aux équipes de tournage pour un film plus « vert » à produire. Une partie des recettes du film peut être reversée dans le pays auprès d’associations œuvrant pour la sauvegarde de la planète sans parler de l’investissement dans le pays, comme ce fut le cas pour des films comme « Slumdog Millionaire ».
Fournir des figurants sera plus facile par un réceptif en place depuis de nombreuses années dans le pays. L’équipe du réceptif pourrait même faire un caméo derrière Meryl Streep.
Voyons encore plus loin, encore plus grand : pourquoi les réceptifs ne deviendraient-ils pas les producteurs, les réalisateurs des documentaires que nous voyons fleurir sur les différentes chaînes publiques, privées ou de SVOD ?
Enfin, si voyager devient réellement impossible pour x raisons, nous, réceptifs, avons les moyens de créer le voyage virtuel !
Quand l’impossible a été éliminé, ce qui reste, même si ça paraît improbable, est la vérité. (Principe de Sherlock Holmes)
Peut-on réellement ou fictivement conclure ? Je ne détiens pas la solution, mais on peut explorer ces pistes…
Se diversifier en tant que réceptifs, apparaît comme une solution pérenne. Diversifier nos productions, diversifier nos outils et nos points d’entrée vers les destinations, diversifier nos compétences et nos services. Prendre conscience que le voyage nous diversifie.
On voit que dans un monde qui commence à s’interroger sur son avenir et les conséquences de ces actions incontrôlées, il réside des moyens directs (recyclage, matériaux écologiques, choix des partenaires, investissement), mais aussi des moyens indirects d’influer (productions, services différenciants). Nous ne limiterons pas l’impact écologique mais nous rendrons raisonnable, dans le sens propre du terme, à savoir la raison, de voyager. Et le cinéma n’est qu’un exemple d’approche. D’autres existent.
Nous avons plus que jamais besoin de nous réinventer afin de redonner du sens à notre métier. Et même s’il pollue toujours, il retrouve une raison d’être. Et le réceptif, une raison d’exister.
Le futur ne manque pas d’avenir… ne l’oublions jamais !