2055 Zululand
Par William ISEBE, co-fondateur de Zuzulu Travel, réceptif USA & Canada
Après avoir exercé pendant plus de 10 ans en tant que chef de produit dans le milieu du voyage d’Aventure pour Atalante et Aventure & Volcans, il se joint à Maya D. Sise en 2017 pour positionner Zuzulu Travel sur le marché des réceptifs francophones nord-américains. Ensemble, ils facilitent les échanges entre leurs trois nations que sont la France, le Canada et les USA, et proposent du voyage thématique en autotour pour petits groupes .
Nous sommes en 2055. Depuis une bonne trentaine d’années, le monde occidental a tourné la page du scepticisme et la notion de « Monde fini » a conquis la conscience populaire. Chacun y va de sa propre expérience. Beaucoup ont été victimes d’évènements climatiques « inhabituels », devenus habituels. D’autres ont un membre de leur famille qui a dû cesser son métier d’apiculteur, faute d’apis mellifera.
D’autres encore ont connu autour d’eux des décès prématurés en raison de l’exposition à telle ou telle substance, sans que l’origine de ces maladies ne déclenche de débat substantiel. La « chasse aux sorciers » du début des années 50 touche à sa fin et les principaux responsables de ces gigantesques scandales sanitaires ont déjà été condamnés. Peu à peu, une grande majorité de la population s’est appropriée le fait que, derrière l’urgence environnementale, se cachent des enjeux sociaux qui nous concernent tous, et même à court terme.
Plus un projet de développement ne se réalise sans que soit étudié avec la plus grande précision son impact environnemental, et sans que l’on ne se demande si l’omelette mérite vraiment de casser des œufs aussi précieux. En France, depuis Notre Dame des Landes que l’on considère symboliquement comme la première victoire majeure du lobbying environnemental sur l’industrie du transport, le trafic aérien a fortement baissé. D’abord, parce que le flygskam a touché une part devenue non négligeable de la population et gagné les couches sociales qui voyageaient le plus. Puis, parce que, le sujet ayant migré vers le cœur des stratégies politiques, les premières mesures restrictives sont enfin tombées.
Le voyage survit bien sûr à ce grand chamboulement.
Il a profondément évolué mais il survit. La transition ne pouvait s’opérer avec une industrie du tourisme devenue incontrôlable lorsque les vols charters et low cost ont rendu moins onéreux pour une famille de faire 4h de vol pour passer une semaine en hôtel-club au soleil, que de prendre sa voiture et traverser la France pour passer une semaine dans un bungalow en camping. Mais la transition ne pouvait pas s’opérer sans le voyage et ce qu’il permettait en terme de prise de conscience, de partage, et d’universalisation des solutions. Alors il a survécu.
Nous tous, voyageurs et voyagistes, nous avons cependant vécu une angoissante période d’aporie. Tous, nous nous sommes demandés comment. Comment voyager sans contribuer à la destruction de l’objet même de la grande majorité de nos voyages, à savoir la Nature ? Nous avons pris conscience que nous ne valons pas mieux que ce chasseur qui venait d’abattre un éléphant en prétextant que le permis qu’il avait payé pour cela contribuerait à la sauvegarde de l’espèce. Rapidement, le mirage d’une suffisante « compensation carbone » s’est volatilisé avec celui du miracle technologique qui devait permettre de relier Paris à New York en 2h sans impact.
L’Hyperloop, projet d’Elon Musk ©The Independant Conduit de l’Hyperloop ©The Independant
Réduire s’est imposé comme la seule solution efficace. Quelques précurseurs l’ont rapidement compris, comme ce petit groupe de voyagistes du réseau Togezer qui, avec le succès qu’on lui connaît aujourd’hui, a habilement fait évoluer l’offre de ses membres agences réceptives en partant d’un constat très simple : » Voyager c’est comme manger de la viande, la solution passe par moins et mieux ! « . Le chaland flexitarien devenu mainstream s’est rué dans ces nouvelles « voyageries » et le marché a progressivement imposé sa loi.
Tous, nous avons dû réapprendre notre métier pour répondre aux nouveaux besoins des voyageurs. Apprendre à écouter des clients qui ont brisé leur bulle numérique pour y préférer le conseil humain. Apprendre à répondre à des voyageurs qui ne parlent plus de destinations et d’incontournables, mais de leur ville de départ et du sens de leur voyage. Apprendre à les aider à maîtriser leur impact en choisissant les bons fournisseurs. Apprendre à les informer avec précision et sans filtre sur les retombées sociales et environnementales de leurs projets. Et surtout, nous avons dû réapprendre à surprendre et oublier ces voyages « hors sentiers battus » dupliqués à l’identique par milliers, 4 étoiles tripadvisor, aseptisés, et ne réservant pour seule surprise que la différence de perspective entre les photos consultées en ligne et la vision directe.
Ainsi, nous avons appris à voyager moins loin ou moins souvent, plus lentement et plus sereinement, en prêtant une attention particulière au sens de nos découvertes. Bien au-delà des enjeux environnementaux, cette métamorphose du voyage eut d’immenses vertus, comme celle de redonner au voyage lointain la saveur particulière du dépaysement et de l’exploration, et de rendre à notre Terre sa dimension magistrale aux yeux des voyageurs boulimiques que nous étions, et qui lui manquaient cruellement de respect.

Que l’on soit bien d’accord, nous sommes en 2019 et ce scénario est de très loin le meilleur que nous puissions écrire sans tomber dans le surnaturel. Nombreux sont ceux qui le jugeront irréaliste. Mais je tenais à ne pas écrire une dystopie de plus sur ce sujet. Si la seule issue possible est cataclysmique, autant que nous mangions tranquillement le pain blanc qu’il nous reste, sans nous soucier de l’avenir. Or, je pense que nous pouvons encore faire le choix de nous saisir du sujet, et de faire ce que nous pouvons faire pour que la transition soit la plus douce possible.
Qu’est ce que cela signifie à notre échelle de réceptif aujourd’hui?
Nous sommes une équipe de cinq personnes et je souhaite vivement que la réponse soit collective. Nous n’avons jamais pris le temps, dans notre jeune existence, d’aborder ce sujet en équipe mais nous avons prévu d’en faire l’un des thèmes centraux de notre prochaine réunion, programmée en décembre. Personnellement, j’y avancerai quelques pistes de réflexion, que je m’efforce d’appliquer de plus en plus fréquemment comme promouvoir les initiatives locales qui permettent de voyager en limitant son impact, sanctionner a contrario les prestations les plus néfastes, informer les voyageurs en toute transparence sur l’impact de leur projet en utilisant les outils d’évaluation à notre disposition aujourd’hui… mais j’espère que l’intelligence collective nous permettra de formuler une réponse bien plus ambitieuse !